Leadership positif : du flan ?

Un article scientifique récent déconstruit les illusions autour de l’impact supposé du leadership positif sur les équipes et la performance des organisations. Les formateurs, coachs et consultants vont devoir réviser leurs programmes !

Un article en phase de publication dans la revue The Leadership Quarterly déconstruit les mythes du leadership contemporain. On le doit à trois académiques des Universités de Genève et de Lausanne : Thomas Fischer, Joerg Dietz et John Antonakis. Voici une traduction française de l’abstract :

« Nous soutenons et montrons empiriquement que les constructions et les mesures des styles de leadership positif, tels que le leadership authentique, éthique et serviteur, ne sont pas de véridiques représentations des comportements de leadership. Au lieu de cela, ces styles confondent les comportements avec les évaluations subjectives des dirigeants. Qualifier les comportements comme étant, par exemple, « éthiques » signifie évaluer les comportements de leadership en termes positifs plutôt que de décrire ces comportements. À travers quatre expériences, nous montrons que les styles de leadership positif sont des résultats qui dépendent de facteurs d’évaluation non comportementaux, tels que des informations sur les succès antérieurs d’un leader ou l’alignement des valeurs entre dirigeants et suiveurs. Plus important encore, les mesures de ces styles de leadership créent des illusions causales en prédisant faussement des résultats objectifs, même lorsque les comportements des dirigeants et d’autres facteurs spécifiques aux dirigeants restent constants. De plus, ces mesures ont des propriétés prédictives similaires à celles d’une approche purement évaluative de mesure de leadership. En conclusion, nos études jettent de sérieux doutes sur les recherches antérieures affirmant que les styles de leadership positifs entraînent des résultats positifs. De plus, la recherche sur le style de leadership positif est non seulement erronée, mais aussi pratiquement inutile, car ses constructions et ses mesures sont des amalgames qui n’isolent pas des comportements concrets et apprenables. Nous appelons à une réorientation radicale de la recherche sur les styles de leadership et esquissons des options pour des recherches futures plus solides. » (notre traduction)

Fischer, Dietz & Antonakis (2024 : 1)

Ouch ! Ça pique !

Que cela soit dans la littérature académique (livres et revues scientifiques), les revues à prétention académique (ex. Harvard Business Review), dans les formations universitaires (ex. MBA, EMBA etc.), sur les réseaux sociaux professionnels ou par l’intermédiaire de coachs et autres consultants, une évidence semblait acquise : le leadership authentique, éthique ou serviteur, bref le leadership positif, apporte joie, performance, harmonie et élévation dans les organisations.

Ben, il y a des chances que ces affirmations soient du flan ! Si les auteurs n’excluent pas que le leadership positif (dans l’absolu) ait des effets réels, ils montrent que toutes les recherches menées jusqu’à présent sur ce sujet sont incapables de le démontrer, car elles sont victimes de défauts méthodologiques et empiriques fatals qui en invalident la prétention à dire quoique ce soit de pertinent. Plus généralement, les auteurs dynamitent ainsi la « sagesse commune » largement diffusée par les thuriféraires et commerçants du leadership positif selon laquelle ce type de leadership produit des résultats positifs.

En s’appuyant sur une revue de la littérature très extensive, les auteurs ont menés quatre études empiriques différentes pour tester leurs hypothèses. On renvoie le lecteur à l’article pour la présentation de ces hypothèses et du design de recherche.

Allo Popper ?

Deux conclusions saillantes sont dérivées des quatre études empiriques.

  • Les qualités prêtées aux Leaders (authenticité, éthique, serviteur) ne sont en réalité pas des qualités comportementales desdits Leaders, mais bien plus des évaluations positives faites par les acteurs de propriétés non comportementales des mêmes Leaders. En d’autres termes, des variables comme les succès précédents du Leader ou l’alignement des opinions entre Leader et suiveurs prédisent bien mieux leurs qualités supposées que des comportements observés par les subordonnés ou les spectateurs. Ces concepts (leadership authentique, éthique, serviteur) sont au final des amalgames construits (« conflated constructs »). En d’autres mots, dans les études faites jusque-là, on ne mesure pas ce que l’on prétend mesurer. C’est embêtant…;
  • Ces « amalgames construits » produisent des illusions de causalité (« causal illusions ») pour deux raisons. La première tient au fait que l’on considère faussement ces styles de leadership comme des constructions décrivant des comportements, ce qu’ils ne sont pas comme le relève la première conclusion. La seconde repose sur le fait que ces études ne tiennent pas compte de variables exogènes non comportementales. Ces deux raisons mènent à l’énonciation d’illusions de causalité : non seulement le concept de style de leadership positif est lui-même défectueux, mais en plus on utilise pas les bonnes variables pour établir un lien de causalité. C’est aussi embêtant…

On doit en déduire que :

« Nos études attirent l’attention sur trois considérations empiriques pertinentes. D’abord, les affirmations de recherches antérieures selon lesquelles les comportements authentiques, éthiques et de type serviteur conduisent à des résultats positifs manquent de fondement empirique solide, ce qui rend ces affirmations spéculatives. Deuxièmement, les styles de leadership ne sont pas des comportements de leader en soi, mais plutôt un mélange de ce que font les dirigeants et de la façon dont les suiveurs évaluent le leadership. Ainsi, les recherches antérieures n’ont pas permis d’isoler comportements concrets que les praticiens pourraient apprendre en formation puis adopter pour transmettre un style de leadership authentique, éthique ou serviteur. Troisièmement, nos études n’examinent pas la logique selon laquelle les bonnes actions conduisent à de bons résultats (« logique du bien »). Cette logique pourrait être valable (comme pourrait l’être sa version opposée), mais ni nos études ni des expériences passées la recherche sur le style de leadership basée sur des questionnaires en témoigne. Prises ensemble, nos études avertissent les praticiens que de nombreuses preuves sur l’efficacité des styles de leadership positif sont probablement le produit d’illusions causales et sont donc injustifiées, jetant également le doute sur une grande partie de la sagesse sur le développement du leadership fondé sur des données probantes. » (notre traduction)

Fischer, Dietz & Antonakis (2024 : 20)

Voici donc falsifiées les hypothèses sur lesquelles se fondent la littérature et la pratique du leadership positif. Cela fait d’autant plus mal que cela touche le point sensible de l’enseignement, de la formation et de la pratique managériale.

Les curriculums à la poubelle ?

Les auteurs concluent ainsi :

 » (…) les praticiens n’obtiendront probablement pas ce qu’on leur a promis lorsqu’ils investissent dans des formations en leadership authentique, éthique ou serviteur prétendument fondées sur des preuves. » (notre traduction)

« Comme le montre clairement nos résultas, une réorientation radicale est à l’ordre du jour pour assainir le désordre actuel des constructions et des mesures de style de leadership positif. » (notre traduction)

Fischer, Dietz & Antonakis (2024 : 21)

Cela veut dire que ces constructions autour du leadership authentique, éthique ou serviteur sont plus des enflures rhétoriques que le fruit de la description de comportements réels des Leaders fruit d’une recherche scientifique robuste. Conclusion, lorsque vous former des individus à ces styles de leadership vous leur jouez une sonate pour instrument à vent et vous ne leur transmettez pas des comportements réels observés susceptibles de faire l’objet d’un apprentissage. En bref, vous bullshitez !

Cet article contribue grandement à réintroduire le management dans les sciences sociales. En pointant sur les défauts rédhibitoires des « recherches » actuelles, il ne jette toutefois pas le bébé du leadership positif avec l’eau du bain.

Il dit essentiellement que nous sommes aujourd’hui incapables de prouver les effets prétendus du leadership positif. Donc, jusqu’à ce que l’on puisse le faire, les prétentions à lui attribuer des effets sont du bullshit. Rien d’autre.

Quant à savoir ce que les universités, business schools, formateurs, coachs et autres consultants feront de ces conclusions, ne nous illusionnons pas : ils ne changeront pas une ligne de leurs curriculum et continueront à bullshiter. Positivement.

Références

T. Fischer, J. Dietz & J. Antonakis. (2024). « A fatal flaw : Positive leadership style research create causal illusions« , in The Leadership Quarterly (in publication).

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