Les tests de personnalité (ou de comportement) rencontrent un succès incontestable dans les organisations. Pourtant leur fiabilité et leurs fondements pseudo-scientifiques devraient les cantonner aux rayons farces et attrapes… Du coup, j’ai sorti mon DISC et j’entonne le « Requiem pour un bullshiteur ».
Il y a quelques années, j’ai passé un test de comportement dans le cadre d’une formation collective. L’une des composantes de cette formation reposait sur une « analyse de comportement » à l’aide de l’outil DISC (Dominance, Influence, Stabilité, Conformité). Après avoir répondu à une série de questions en ligne, voilà que je recevais sous la forme d’un rapport, un « profil de comportement ». Petit voyage au coeur du bullshit…
Trous dans le fondement
La méthode DISC a été créé en 1956 en s’inspirant des travaux menés par un certain William Moulton MARSTON dans les années 1920 pour « décrypter et analyser les comportements » des individus. En utilisant un référentiel comportant quatre couleurs (rouge, jaune, vert, bleu), il permettrait d’identifier, à l’aide d’un questionnaire, huit styles de comportement : conducteur, motivateur, promoteur, facilitateur, supporteur, coordinateur, évaluateur, organisateur. Dans la version du DISC qui m’a été infligée, on m’explique que l’on y a ajouté des morceaux de C.G. JUNG et plus particulièrement sa « Théorie des Types comportementaux ». C’est probablement pour faire plus sérieux…
Commençons par MARSTON. Ce psychologue américain est surtout connu pour deux choses : le polygraphe (détecteur de mensonge) qu’il a contribué à inventer et le personnage de comics Wonder Woman. Mais, il a aussi commis un livre qui nous intéresse, « The Emotion of Normal People » publié en 1928. Cet ouvrage a très largement influencé la construction du modèle du DISC quelques décennies plus tard. S’il n’a pas vraiment marqué la discipline psychologique, c’est peut-être parce qu’il faisait appel à des conceptions quelque peu étranges comme le « vitalisme » et qu’il ne fournissait aucune information sur les données quantitatives ou qualitative de ses affirmations. Bref, il n’est pas déraisonnable de penser que sa contribution à la grandeur du genre humain réside essentiellement dans sa contribution à la bande dessinée. Ce qui est très honorable par ailleurs.
Quant à C.G. JUNG, il est plus connu dans le domaine des test de personnalité pour être la source d’inspiration principale du Myers-Brigg Type Indicator (MBTI), mais certaines variantes du DISC s’en inspire aussi. Comme quoi, c’est pas parce qu’une source est pourrie que l’on ne vas aussi s’y approvisionner. Car, il faut le dire JUNG est ceinture noire quinzième dan en bullshito, l’art martial qui consiste à terrasser son adversaire en contrôlant la force des vents à l’aide d’un pipeau en roseau. Il faudrait un ouvrage pour débusquer toutes les âneries que JUNG a écrites durant sa longue carrière. Limitons-nous ici à son ouvrage « Types psychologiques » (JUNG 1993) publié en 1921.
Pour mesurer la scientificité et la robustesse du propos de JUNG dans la construction de ses « types psychologiques », il suffit de le citer :
« Le présent ouvrage est le fruit de vingt années de pratique psychologique. L’idée est née peu à peu des innombrables impressions et observations recueillies dans l’exercice de la psychiatrie et de la médecine mentale, dans la fréquentation d’hommes et de femmes de toutes classes sociales, de discussions avec amis et adversaires, enfin de la critique de mes propres propriétés psychologiques. »
Jung 1993 : 1
Bon, alors on apprend que ces types de personnalité sont déduis de la fréquentation de patients, soit d’une partie de la population seulement. Mais pas n’importe laquelle, des personnes souffrant de maladies mentales… Donc, c’est en extrapolant des observations sur des personnes malades qu’il en déduit pour toute la population des types de personnalité définitifs et universels… D’accord. On est aussi rassuré – ou pas – de savoir que s’est aussi en s’auto-analysant qu’il en a déduit sa typologie.
OK, ne faisons pas la fine bouche, il nous dit qu’il a recueilli des observations « innombrables » sur des gens de toutes classes sociales, c’est donc solide. Mais peut-on en savoir plus sur le nombres d’observations et sur la composition de l’échantillon, ce qui nous donnerait un idée de la qualité scientifique du propos ?
« Si je me refuse à mettre sous les yeux du lecteur une importante casuistique; je tiens cependant à insérer parmi les connaissances déjà acquises les idées que j’ai dégagées de l’expérience. »
Jung 1993 : 1
Ah ben zut ! Il veut rien nous donner. Mais comme nous le précise le préfacier dans une tentative un peu navrante de justification face à la critique selon laquelle JUNG serait « plus soucieux d’affirmer que de prouver » (critique de Le Senne), « il nous faut donc, dans une certaine mesure, le croire sur parole… » (Jung 1993 : xv)… Ben voilà, on va le croire sur parole alors.
On le voit, le DISC et le MBTI reposent sur des fondements scientifiques solides !
Un sacré Barnum !
Revenons à mon « profil de comportement ». Je me souviens qu’à sa lecture, à l’époque, j’avais été surpris par sa pertinence. Globalement, je m’y retrouvais. Je ne réalisai que plus tard que j’avais été victime de « l’effet Barnum » ou « biais d’erreur de validation personnelle » (Wagner-Egger 2022 : 104 ss) sur lequel repose la plupart de ces outils , soit le fait que les individus ont tendance à accepter les descriptions générales de personnalité comme valable pour eux.
Voilà donc quelques exemples tirés de mon profil :
« Christophe peut se montrer très obligeant et arrangeant. Autrement dit, il aime travailler avec d’autres personnes et les aider. »
« Pour lui, un inconnu est seulement un ami qu’il ne connaît pas encore! » (SIC : c’est bô!)
« (Christophe) est capable de considérer le problème dans son ensemble; par exemple, il pensera aux relations, se sentira concerné par les sentiments des autres tout en étant concentré sur l’impact réel de ces décisions et de ses actions. »
Bon, tout est positif alors ? Ah non :
« Christophe a l’habitude de faire beaucoup de gestes en parlant. »
« Parfois, il ne comprend pas pourquoi tout le monde ne voit pas la vie comme lui. »
Ah, oui les gestes… Mais on ne dit pas lesquels… Heureusement ! Pour le reste, ce n’est pas que les autres ont tort, ils n’ont juste pas encore atteint mon degré de sagesse…
Comme le relève Moukheiber :
« L’effet Barnum est donc un biais qui conduit à croire à un énoncé qui dit quelque chose de notre personnalité, et cela en vertu de trois facteurs : parce que nous pensons que l’énoncé à été rédigé spécifiquement pour nous (biais de personnalisation); parce que la personne qui s’adresse à nous est une figure d’autorité (biais d’autorité); enfin parce que l’énoncé est suffisamment vague et général pour s’appliquer à de nombreuses personnes tout en étant suffisamment positif pour avoir envie d’y croire (biais de sélection). On comprend pourquoi, dans le cas des tests de personnalité qui peuvent coûter des fortunes aux entreprises ou aux individus, on peut parler d’arnaque : ces tests subsument trois biais négatifs en un! »
Moukheiber 2019 : 90
Joli disclaimer
Consciente que ce qu’il nous propose comme profil pourrait bien être du bullshit, l’entreprise qui l’a conduit précise en première page :
« En lisant votre profil, ne tenez pas compte des éléments de l’analyse qui, d’emblée, pourraient vous paraître inappropriés, vérifiez cependant auprès d’amis ou de collègues qu’ils ne correspondent pas à un aspect de votre personnalité que vous pourriez ignorer ».
OK, j’ai compris la tactique : si cela correspond, rien à faire, cela doit être vrai. Si cela ne correspond pas, écartez-le. Mais peut-être que c’est quand même vrai. Interrogez vos proches, parce que le profil quand même être juste…
Pirouette rhétorique classique qui ressemble furieusement à celle qu’utilisent les thuriféraires de ces profils qui ne valent que dalle :
« Nan, mais faut pas prendre cela à la lettre. Ce n’est qu’un outil pour ouvrir une discussion, un dialogue, un échange… »
Comme l’astrologie en somme…
Que les fondements de ces profils soient nuls, qu’il reposent sur les effets de biais cognitifs, qu’ils soient inefficaces et qu’ils ne servent à rien ne doit donc pas nous empêcher d’y recourir… D’accord.
Il y a un truc qui ne tourne pas rond.
Cela doit être moi.
Allez vite, je me lance dans un Ennéagramme !
Références
C.G Jung. (1993). Types psychologiques. Genève : Georg
A. Moukheiber (2019). Votre cerveau vous joue des tours. Paris : Editions Alary
P. Wagner-Egger (2022). Méfiez-vous de votre cerveau. Lausanne : PPUR
Remettre en cause l’ensemble de ce qui nous est présenté comme scientifique alors qu’il n’y a pas de fondement scientifique ou statistique est vital. C’est la base de l’esprit critique.
En revanche, pour faire une démonstration, il faut s’appliquer la même rigueur. Mêler Jung au Disc et extraire des écrits de Jung pour une démonstration ne me paraît pas très rigoureux. En revanche, le rappel des biais est excellent. Il faut aussi rappeler que nous sommes fréquemment en recherche de ce type de profil. D’où le succès des questionnaires des magazines particulièrement en été.
Merci pour votre commentaire. Ce n’est pas moi qui associe DISC et Jung, mais les utilisateurs du DISC eux-memes. Quant à l’extrait de JUNG, je ne fais que retranscrire les propos de JUNG qui démontre sa conception de la démarches scientifique.
Je comprends votre article, qui est intéressant et soulève des points pertinents.
En revanche, le MBTI s’appuie certes sur les travaux de Jung, mais étayés par des années d’études d’Isabel Myers et Katharine Briggs. Dire que le MBTI vient directement de Jung, et sur la seule base de ses patients et de lui-même, est un raccourci un peu rapide.
Je ne connais pas bien le DISC et le trouve un peu réducteur. Mais je connais un peu le MBTI et le trouve éclairant car il vient mettre à disposition de tous la compréhension simple de comportements et fonctionnements humains. Aujourd’hui, il me semble que tout est bon à prendre quand il s’agit d’entrer en relation avec le reste de l’humanité, et en saisir les nuances permet de prendre du recul sur la manière de réagir de chacun ainsi que sur ses besoins.
Bonjour,
Je suis assez d’accord avec @Maylis, attribuer le MBTI à Jung est un raccourci un tantinet rapide.
Vous êtes en train de jeter le bébé avec l’eau du bain. Il faut toujours remettre un fait dans son contexte. L’ouvrage « Types psychologiques » de C. Gustave Jung sort en 1921. A cette époque, la psychologie n’a rien de scientifique. Le premier laboratoire de psychologie « scientifique » ouvre en 1879 à Leipzig sous l’impulsion de Wilhelm Wundt. Et il faut reconnaître qu’il faudra attendre bien des décennies plus tard pour que la personnalité soit étudiée de manière scientifique, avec des propositions de modèles et une mesure validée par les méthodes psychométriques. Notons d’ailleurs que le modèle de personnalité le plus solide scientifiquement à ce jour, le big five, intègre en premier facteur l’introversion/extraversion, un concept proposé justement par Jung.
Quant à la solidité du MBTI, je vous invite à lire cette étude : Dickes, P., Kop, J.L., Tournois, J. (1997). Analyse critique de quelques outils utilisés dans l’évaluation des compétences. Considérations psychométriques, théoriques et pratiques. Rapport de recherche réalisé pour le compte de l’Union européenne (Programme LEONARDO, projet CLEVER), pp. 13-44 (Chapitre 1 : le MBTI : un indicateur typologique ?) .
Dans la conclusion, on peut lire « Les analyses factorielles ont confirmé, de manière générale, les résultats présentés dans le manuel : les quatre dimensions extraites des analyses sont facilement interprétables. »
Puis, un peu plus loin « En bref, il existe bien quatre dimensions dans le MBTI, mais il est moins sûr qu’elles appréhendent des processus influençant la perception ou la décision : le contenu de ces échelles est assez classique et rappelle fortement quatre des dimensions du modèle de la personnalité en cinq facteurs. »
Pour le dire autrement, à une époque où le caractère scientifique de la psychologie balbutiait, Jung a eu une très bonne intuition en identifiant un modèle de la personnalité très proche de celui validé par toute la communauté scientifique aujourd’hui.
Et pour être complètement transparent, ce rapport explique que « En bref l’ensemble des analyses pratiquées sur l’échantillon de 731 sujets qui a servi à mettre au point la version française du MBTI permet de retenir 4 échelles dans ce questionnaire, mais ne permet pas de retenir les types de personnes ». Pour le dire autrement, les 4 échelles sont psychométriquement validées, mais pas les 16 types.
Je connais moins bien le DISC, mais pour avoir également suivi un stage de management, le formateur nous l’a fait passer en nous le présentant effectivement comme « inspiré » des types de Jung. Je suis resté très dubitatif sur mon profil tel que restitué par le test. Et le formateur était visiblement bien en peine pour tenter de répondre à mes questions. Je n’ai donc pas insisté pour ne pas le mettre en difficulté.
Personnellement j’utilise plutôt le BFI – 2 : Big Five Inventory version 2 (version française), un test de personnalité construit sur le modèle en cinq facteurs.
Au plaisir de poursuivre cet échange sur les tests
Merci pour votre commentaire. Je me permets d’y répondre comme suit.
– Ce n’est pas moi qui attribue le MBTI à Jung, c’est la Myers Briggs Fondation elle-même qui s’en revendique :https://www.myersbriggs.org/about-us/myers-briggs-jung-legacy/
– Quant à exonérer Jung parce qu’à l’époque la psychologie n’était pas scientifique, cet argument est à double tranchant. Cela valide donc plutôt mon argument que Jung n’est pas scientifique et donc que le MBTI repose sur quelque chose qui n’est pas scientifique.
– Merci pour l’étude. Mais une étude ne fait pas encore une preuve. Il faut aller voire les méta-études. Et celles-ci ne sont pas favorables au MBTI. On ne peut donc pas dire qu’il a été validé par toute la communauté scientifique. Il n’est précisément pas reconnu par la communauté scientifique comme valide et fiable.
– Qu’il s’agisse du MBTI ou du DISC, il ne valent pas grand chose, pour une raison essentielle qui touche au fait qu’ils ne tiennent pas compte des facteurs organisationnels du comportement des individus telle que le comportement stratégique (sociologie des organisation) et le fait que les individus y jouent des jeux (interactionnisme symbolique E. Goffman).
– Quant au Big Five, il semble faire mieux et avoir une meilleure réputation, c’est vrai.
De manière générale, ces outils sont à mon sens des hochets décisionnels peu fiables et peu utiles, sauf pour rassurer les décideurs par rapport aux décisions qu’ils sont censés prendre.
Bien à vous,
Bonjour, mon équipe vient d’avoir la « chance » de réaliser un DISC avec un animateur lors d’un séminaire d’entreprise. Je n’ai pas pu m’y rendre et ai reçu les éléments par mail.
Le questionnaire m’a déjà mise très mal à l’aise. Un petit effet « questionnaire Marie-Claire ». et le rendu fort de ses 50 pages et de ses références lancées à la volée a allumé toutes mes alertes. J’ai l’impression d’avoir que le compte rendu m’essentialise à des réaction qu’aurait un groupe auquel je suis rattachée moyennant quelques questions (un petit effet « thème astral »).
J’ai trouvé votre site en essayant de savoir si le test était fiable (et que donc je devais servir de base à des changements de ma personne ou si c’était de l’effet barnum).
Quels arguments me conseillez vous d’utiliser en priorité avec mes supérieurs pour leur présenter que ce test, qu’ils ont payé, est en fait probablement une mauvaise idée (ou au moins une idée réductrice qui n’aidera pas forcément l’équipe à se structurée de manière solide?). J’ajoute que ma hiérarchie est habituellement à l’écoute et qu’il me sera possible de leur parler de manière constructive. Merci,
Bonjour,
Désolé pour le temps mis à vous répondre.
Il me semble qu’il y a deux axe d’argumentations. Premièrement, la fiabilité très faible de ces tests MBTI, DISC, dont les fondements scientifiques ont été assez largement contestés. Deuxièemement, et cela devrait toucher vos interlocuteurs, ce sont des tests statiques. Cela veut dire deux choses. La même personne peut passer le test à deux moments différents et aboutir à des réponses différentes, ce qui est un problème puisque les promoteurs de ces tests prétendent identifier la personnalité des répondants. Ensuite, ils ne tiennent absolument pas compte du contexte organisationnel. Or, les individus jouent des rôles et s’adaptent au contexte organisationnel, même dans leurs réponses. Donc, non seulement, les réponses ne sont pas sincères, mais elles ne disent disent rien du comportement réels des individus dans l’organisation. J’espère vous avoir donné quelques éléments.