Trigger Warning : ceci est une chronique teintée d’ironie. Il est possible que vous soyez exposés à des idées qui pourraient ne pas être les vôtres. En cas de malaise, prenez contact avec un coach.
Publier un ouvrage sur le management faisant appel à l’ironie et à la satire est une expérience enrichissante. Retour sur huit mois d’échanges.
Depuis sa sortie en avril 2023, mon ouvrage « Leadership, agilité, bonheur au travail : Bullshit! » aux Editions Vuibert a fait l’objet d’une couverture médiatique importante qui s’est traduite par des ventes en nombre. Preuve s’il en fallait que la critique des approches managériales contemporaines répond à un besoin.
Parmi les retours reçus de lecteurs (pas toujours satisfaits, voire parfois même carrément fâchés par le propos…), deux catégories n’ont pas laissé de m’interroger au fil des mois. Je me permets de les discuter parce qu’elles illustrent, me semble-t-il, malgré elles, le propos général de l’ouvrage sur la difficulté à concevoir le management autrement que comme la quête d’une plénitude harmonieuse et psychologiquement sécurisée.
Pipoter en nuance
Par son titre et par le style à la tronçonneuse des interventions de son auteur dans les médias ou sur les réseaux sociaux, l’ouvrage souffrirait selon certains de tares congénitales rédhibitoires : la volonté de convaincre (sic), l’agressivité, la recherche du conflit et de l’opposition en violation crasse de la « Convention internationale de Gloubiboulga sur la traite des échanges co-constructifs en milieu harmonieux ». Ce faisant, toute personne en infraction de ces règles de la bienveillance universelle prend le risque de voir son propos frapper du sceau de l’infamie : le manque de nuance.
A lire les gardiens de la modération spiritique, le criminel serait immédiatement puni par là où il pêche : son propos s’auto-détruirait et deviendrait illisible, inaudible, tant il heurte la sacro-sainte nécessité du débat euphonique reposant sur le commandement : « Plus jamais tu n’utiliseras le « non, mais… ». Tu le remplaceras par le « oui, et… » »
On voudrait bien suivre les bouddhas de la controverse gracieuse dans leur quête d’unanimisme béat, mais nous n’avons pas la même conception du débat. Un échange qui ne comporterait pas de contradictions fortes, voire virulentes, cela s’appelle une messe, un sabbat ou (Trigger Warning : ce qui suit est une blague !) une journée de « design thinking », pas un débat.
Et puis, pour fabriquer un pipeau (délicieux instrument à vent multitaské), on attaque l’arbre d’abord à la tronçonneuse, avant de terminer avec une gouge. Quand il s’agit de lutter contre le bullshit managérial, on ne s’y prend pas autrement : on cogne fort avant d’affiner le propos. La fausse note d’un seul instrument dans un orchestre symphonique ne se perçoit pas. Pour se faire entendre l’instrument dissonant doit jouer fort…
Stratégie du soupçon
Les critiques reçues ont également pris une autre forme consistant, sans entrer dans le débat de fond (c’est-à-dire en contestant factuellement ou argumentativement le propos, ce qui est souhaitable et encouragé), à interroger les motivations et les objectifs de l’auteur.
En critiquant durement et en maniant le sarcasme, l’auteur en dirait beaucoup sur lui-même, de son passé, de ses frustrations ou de ses motivations cachées. Cette psychologisation de bar à smoothies illustre la prédominance du psychologisme dans le débat d’idées.
Si certains font appel à cette tactique rhétorique classique du soupçon ad-hominem pour délégitimer le locuteur, d’autres, dont il faut présupposer la bonne foi, s’interrogent sur sa santé mentale, sur son mindset ou ses motivations.
Côté santé mentale, on lui prête des tendances narcissiques qui lui font occulter les positions adverses pour ne valoriser que les siennes. Quant à son mindset, celui-ci serait désespérément « fixe » et pas « ouvert » ou « de croissance », ce qui fait de lui un pauvre hère qui n’a pas encore pratiqué pour son plus grand bien le yoga (vrai) ou la méditation de pleine conscience (faux). Il en résulte un désalignement de ses chakras qui produit aigreur et agressivité…
Quant à ses motivations, celle-ci ne seraient que commerciales. En étant « excessif » ou « polémique » (= en débattant), l’auteur recourrait au « putaclic » et au « buzz » pour faire parler de lui et de son livre pour en vendre plus.
Rechercher les motivations ou tenter de comprendre la psychologie d’un interlocuteur n’est pas en soi condamnable. Cela permet parfois de circonscrire le propos. Mais lorsque cela devient l’unique contenu de l’échange, c’est idiot. Comme ces interlocuteurs qui se sont contentés de chercher des poux psychologiques à l’auteur, sans avoir lu une seule ligne de l’ouvrage en question, arguant qu’ils ne s’abaisseraient pas à lui donner le l’argent (qu’on le rassure, c’est en réalité bien peu…) en faisant l’acquisition de l’ouvrage, ou en lui demandant à ce qu’il leur soit envoyé gratuitement…
Cela s’appelle de la tartufferie.
Je déduit de la dernière phrase que l’ouvrage peut être demandé gratuitement. Du coup, je formule cette demande, qui bien sûr en dit long sur mes états d’âmes et ma psychologie…
Vous pouvez demander. Mais cela ne garantit pas une réponse positive.