Qui veut la peau des managers ?

Vous voulez vous débarrasser de cette figure inutile et navrante qu’est le manager ? Découvrez les cinq méthodes qui vous permettront d’atteindre cet objectif.

Il y a un paradoxe dans la situation du management contemporain : on lui propose d’innombrables méthodes, recettes et outils pour le renforcer, l’optimiser, le « booster » qui n’ont d’autres effets que de l’affaiblir et de faire disparaître la figure du manager. Voici un petit manuel d’élimination des managers en cinq méthodes.

Méthode #1 : l’élimination métaphorique par le Leader

Nous rencontrons au moins deux fois par jour sur nos réseaux sociaux professionnels une illustration « inspirante » qui oppose le sinistre manager au bon Leader. Lorsque le premier dit « je », contrôle et est motivé par l’argent, le second dit « nous », motive et carbure à la réussite de ses équipes. Au-delà du ridicule de l’opposition, celle-ci ne poursuit qu’un seul but : dévaloriser le manager pour lui substituer la figure du Leader que chacun d’entre nous, à condition de se faire coacher ou de suivre une formation, peut devenir.

Le problème de cette méthode est qu’à terme vous risquez bien de finir avec un Leader à devoir éliminer lui aussi parce que loin de s’être « servi en dernier », élevé au rang de superhéros Marvel ou de Christ rédempteur, il dessert votre organisation et s’est transformé en « sale con ».

Méthode #2 : l’élimination physique par l’organisation libérée

S’il ne s’agit pas ici d’assassiner qui que ce soit, il s’agit bien de faire disparaître le manager du flexoffice et le pouvoir qu’il représente. Car, il faut bien comprendre qu’en holacratie ou en organisation organique (ou cellulaire), le pouvoir, c’est pas bien ! C’est sale. Et le pouvoir est incarné par un être maléfique qui s’appelle « manager ». Donc, ouste le manager! On le remplace par des « holocrates » affublés d’un « rôle » au sein de « cercles », on lui substitue le diktat des processus et des normes (jusqu’au langage) et une l’idéologie subtilement enfilée aux futurs « holocrates » au moment du recrutement et lors de rituels sympathiques de team building ou d’autocélébration du génie de l’organisation (et de son créateur… mais chut, faut pas le dire!).

Pas exclu que cela marche, mais le prix à payer est l’acceptation que votre organisation se transforme en « bureaucratie liquide » au sein de laquelle le pouvoir prend une forme plus insidieuse et perverse à tendance totalitaire.

Méthode #3 : l’élimination par la « hamsterisation » du manager

Vos équipes ne parviennent pas encore à réaliser la posture du « hamster jovial » (à quatre pattes sur son desk, museau pointé vers la salle à smoothies en alternant étirements et relâchements)? Il vous faut de l’agilité! Et l’agilité pour un manager revient à lui demander de réciter en position de fleur de lotus les mantras du dernier livre d’Edgar Morin ou de Deepak Chopra : il ne peut pas. La solution? Transformez-le à coup de « burst », « blitz », « burndown charts » et autres « sprint backlog ». Faites lui découvrir le bonheur de confier le management aux méthodes agiles. Plus besoin d’arbitrer, de négocier, de piloter, de représenter, toutes ces activités bien ennuyeuses. Faites confiance à la Méthode (non, pas celle de Edgar Morin, c’est encore un autre histoire…) et sprintez.

Alors, si au bout d’un certain temps, votre manager ne se nourrit plus que de foin et de graines, c’est normal, vous l’avez transformé en « Scrum Hamster ». Il n’est pas plus intelligent ou plus souple, mais il est devenu un bon « idiot utile » de votre nouvelle bureaucratie numérique.

Méthode #4 : l’élimination par le manager thérapeute

Comme chacun le sait, le manager est la source de tous les maux de nos organisations modernes. C’est lui qui fait fuir les collaborateurs! C’est lui qui fait perdre le sens du travail! C’est lui qui se place sur le chemin de l’orgasme organisationnel qui nous attend dans notre espace de coworking! C’est lui qui nous empêche de faire bénéficier l’organisation de notre intelligence émotionnelle! La solution? Transformez-le en thérapeute émotionnel, en clown d’entreprise, en petit Bouddha de bienveillance, en « toxic handler » de la résilience organisationnelle ou en diffuseur de sécurité psychologique.

Aucun désavantage à cette méthode. Que des bénéfices. Elle est facilement acceptée par l’organisation, elle vous évite de vous poser des questions désagréables sur les causes des problèmes, elle vous offre une panoplie très diversifiées de hochets palliatifs et présente même la faculté de renverser la responsabilité des maux organisationnels sur les collaborateurs. Que du bonheur!

Méthode #5 : l’élimination par le coach

Le coach est un tueur à gage ! D’une efficacité redoutable. Professionnel, il ne laisse pas de trace et ne commet jamais l’ultime méfait de ses propres mains Son code personnel le lui interdit (pardon son éthique et sa certification) : il n’apporte pas de solutions aux coaché. Tel un Socrate New Age, il est là pour aider celui-ci à les trouver et à conclure que son statut de manager est misérable et qu’il a bien mieux à faire : développer son hygiène psychique ou se transformer en Leader (oui, certaines méthodes se combinent).

Le problème avec cette méthode est que les managers commencent à se méfier de ce type de démarche bienveillante qui leur est « suggérée » par leur hiérarchie. Ils savent que se voir affubler d’un coach consiste à être envoyé par son organisation dans un camp de rééducation soft avant de se voir offerte la porte. Notez que cela leur permettrait de se reconvertir dans le… coaching.

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2 réponses à Qui veut la peau des managers ?

  1. Herbst dit :

    Je rejoins totalement ce concept, je me considérais comme un bon manager, et l on a essayé de m affubler d un rôle de Leader que je ne maîtrisais pas. Par des cours et un coaching.Conséquence un licenciement il y a une semaine après 17 ans d entreprise sans possibilité de retour en arrière. Je suis dégoûter et je ne sais pas comment rebondir. Je ne sais plus comment me positionner vis-à-vis de cela et encore moins sur le marché du travaille.

  2. Rocquet dit :

    Des observations justes, quoiqu’acerbes.
    Dommage de ne voir que le verre à moitié vide de sujets qui ne le sont pas. Aussi bien l’agilité que l’holacratie, ou encore bien sûr, le coaching.
    Quant à la distinction « leader » / « manager », elle repose sur la polysémie du mot « leader » qui est à la fois quelqu’un qui mène, très littéralement, ce qui est possible pour tout le monde, manager ou pas, et « dirigeant » qui correspond à un statut.
    Quoique vous en disiez, il est temps que les organisations mettent un peu de tout ce que vous décriez dans leurs modes de fonctionnement, au risque de maintenir des systèmes dont plus personne ne veut.

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