Les RH victimes et propagatrices du bullshit managérial ?

Le bullshit managérial se diffuse à grande vitesse dans le monde du travail. Et si les Ressources Humaines en étaient à la fois les victimes et les agents pathogènes principaux ?

Dans un article du Times du 18 août 2023, le journaliste Rhymer Rigby mettait en relation deux phénomènes : l’envahissement du langage thérapeutique dans les organisations d’un côté et l’augmentation importante en proportion des postes RH dans les organisations. Il laissait ainsi entendre que le premier phénomène pouvait être expliqué par le second : les RH dont prégnance est croissante seraient ainsi les principales diffuseurs du langage thérapeutique dans les organisations.

Ce qui sonne, a priori, comme une hypothèse susceptible de rentrer dans la catégorie du bullshit n’est pas si absurde que cela, si l’on prend le temps d’y réfléchir, la tête froide. Mais, il faut la pondérer.

Explosion des effectifs RH

Premier élément intéressant : le nombre de personnes travaillant dans le domaine des ressources humaines a cru de 42% au Royaume-Uni en 10 ans, alors même que les effectifs globaux dans l’ensemble des organisations britanniques n’ont augmenté que de 10% sur la même période selon une récente étude du Chartered Institute for People and Development fondée sur les chiffres fournis par l’office national de la statistique. N’ayant pas trouvé d’études équivalentes dans d’autres pays, nous devons nous résoudre à postuler que la tendance est probablement équivalente dans les pays occidentaux.

Peut-on pour autant déduire de cette accroissement des effectifs dans les RH qu’ils seraient les principaux diffuseurs du bullshit managérial ? Pas de manière indubitable en tous cas, puisqu’aucune étude n’a été menée autour de cette hypothèse. On ne peut donc que formuler des hypothèses.

Fashion victim…

Sommés par leur hiérarchie de résoudre les problèmes pressants que rencontrent leurs organisations (quiet quitting, pénurie de main d’oeuvres, recrutement, grande démission, alignement, motivation etc.), les DRH sont à l’affut des dernières nouveautés, des plus récentes tendances et des solutions les plus efficaces qui leur permettraient de jouer le rôle que l’on attend d’eux : palier les problèmes organisationnels et les déficiences managériales de leur hiérarchies.

On en veut pour preuve la présence en masse des DRH lors des salons RH, forums et autres congrès. Face à leur quête quasi désespérée de remèdes, les solutions qui leur sont alors proposées pullulent : ici une application web et mobile de gestion de la motivation, là une plateforme nourrie à l’intelligence artificielle pour le recrutement, plus loin une « nouvelle méthode efficace pour combattre la charge mentale, développer de la résilience, appliquer l’attitude positive par la compréhension de l’étude de l’égo et de ses styles (déni, agressivité, fuite, victimisation) ».

Pas surprenant dès lors qu’ils puissent constituer consciemment ou contre leur gré la porte d’entrée principale du tout et du n’importe quoi dans les organisations, c’est-à-dire du bullshit managérial qui assiège et assomme nos organisations (bienveillance, bonheur au travail, leadership transformationnel etc.) et dont ils deviennent les vecteurs de propagation principaux.

… ou victime du management

Mais rendre les DRH seuls responsables du bullshit managérial serait faux et donc injuste. Au même titre que les managers qui ne sont pas particulièrement bien traités dans nos organisations (nous y reviendront dans une prochaine chronique) et dont on cherche à se débarrasser, les DRH ne font que répondre, parfois bien malgré eux, aux injonctions de leurs dirigeants qui ne comprennent plus ce qu’est une organisation et ce qu’elles sont devenues (des bureaucraties achevées ou liquides) et qui exigent qu’on leur trouve un « truc », un « machin » pour répondre aux problèmes bien réels du management contemporain. Quitte à ce que cela soit du n’importe quoi.

Si de prime abord ces DRH sont soulagés et ravis de revenir du dernier salon RH avec une solution « clé en main », ils réalisent rapidement que dans l’organisation, cela est un peu plus compliqué que ce qu’on leur a vendu. Et surtout, nombre d’entre eux sont bien conscients qu’ils sont pris dans un étau. Au-dessus, la hiérarchie les presse de « booster les RH ». Au-dessous, les managers et les collaborateurs attendent que l’on réponde à leurs difficultés. La tâche est impossible, sauf à accepter des recettes simplistes, accrocheuses et universelles.

On est en passe de transformer nos DRH en applicateurs de bullshit managérial.

Eux et nous méritons mieux que cela.

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