Le management des petits pois

Il est un terme dans la bouche des plupart des managers et autres DRH : l’alignement. On serait bien inspiré de remplacer le rêve d’autocrate qu’il trahit par un management stratégique des équipes. Quelques pistes.

C’est à croire que nos managers et nos DRH se sont transformés alternativement en magasiniers qui installent des boites de petits pois dans les rayons, en caporaux nord-coréens qui contrôlent les rangs pour un défilé militaire et en chefs de peloton d’exécution qui mettent en rang les condamnés à mort dos à la fosse commune. Tous n’ont qu’un mot à la bouche : alignement. Alignement sur les valeurs, les objectifs, les défis etc.

Les mêmes qui rêvent d’un alignement des acteurs dans les organisations, nous abreuvent, en même temps, de concepts mous comme « créativité », « disruption », « diversité » ou « neuro-atypie ». Souples du bulbe, ils nous expliquent que contradiction il n’y a pas et qui si nous y trouvons à redire, c’est que nous n’avons pas embrassé la « pensée complexe »…

Aligner les équipes est un rêve d’autocrate – ou de leader (ce qui revient à peu près au même) – autant qu’une illusion qui dissimule mal une compréhension tout à fait défaillante de ce que sont réellement les organisations. Loin d’être des royaumes de l’harmonie et de la créativité bienveillante, nos organisations sont une agrégation de principautés et de vassaux qui n’ont que très rarement, si ce n’est jamais, une vision unifiée et commune de leur nature, de leurs objectifs ou de leurs valeurs. Les acteurs dans les organisations jouent, négocient et font croire à leur adhésion. L’acteur jouissant toujours d’une certaine autonomie, il en use pour défendre ses intérêts. Et c’est bien parce que cette liberté ou cette capacité de nuisance perturbe l’organisation que l’on vise désormais à transformer intimement les acteurs et à les aligner, tâche confiée au leadership transformationnel.

Cette opération de formatage est voué à l’échec. Tout au plus, peut-on espérer une convergence partielle, temporaire, locale et intéressée des intérêts des acteurs. Et cela est somme toute bien satisfaisant. Sans compter que la tâche pour y parvenir est déjà assez difficile.

Vers un management stratégique

Se départir d’un leadership transformationnel et du fantasme de l’alignement est possible. Il convient de suivre quelques règles assez simples*.

  1. Abandonner l’idée qu’en transformant les acteurs on transforme l’organisation et adopter une conception interactionniste et transactionnelle du management. Cela nécessite d’accepter que l’important n’est pas ce que les acteurs pensent de l’organisation, de ses valeurs ou de ses objectifs, mais ce qu’ils font au jour le jour, sans jugement a priori moral ou évaluatif;
  2. Accepter que les acteurs simulent, dissimulent, négocient, résistent, collaborent et soutiennent alternativement. Cela signifie que le comportement des acteurs est stratégique, opportuniste et instrumental. Ils agissent parce qu’ils ont de bonnes raisons, pas parce qu’ils ne perçoivent pas les enjeux, ne les comprennent pas ou parce qu’ils sont victimes de déficiences cognitives, émotionnelles ou intellectuelles;
  3. Considérer que les acteurs jouent un jeu dans lequel, ils visent à préserver au mieux leur autonomie et leur liberté d’action. Voilà les bonnes raisons qui motive leur comportement. Chercher à aligner leurs « mindsets » n’aura pour conséquence que de renforcer leur comportement stratégique de simulation ou de résistance.
  4. Adopter un management qui est symétriquement lui aussi stratégique, opportuniste et instrumental reposant prioritairement sur les transactions entre acteurs. Cela signifie que la responsabilité première du manager est de créer les conditions de la coopération en jouant avec les acteurs, en les impliquant, en négociant, en fixant des objectifs, en créant des « bacs à sable » de l’innovation, en adoptant une vision fonctionnaliste du leadership.
  5. Résister à la tentation de la formalisation des procédures, à la bureaucratisation progressive des organisations. Cela signifie préserver des ZIAD « zones d’incertitudes à défendre », pour que l’autonomie des acteurs soit préservée et que le jeu de l’innovation puisse se dérouler.

Bref, renoncer à aligner les petits pois, c’est renoncer à envoyer les collaborateurs dans des camps de rééducation, ce en quoi consiste le change management. C’est prendre les collaborateurs au sérieux, les traiter en adultes et compter sur leur rationalité avant que d’en faire des choses inertes ou à l’inverse des boules d’émotions et de biais cognitifs.

* Développé dans C. Genoud (2023). « Leadership, agilité, bonheur au travail : Bullshit! ». Paris: Vuibert, 208p

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